ADIEU MAÎTRE, ON VOUS AIMAIT ET ON VOUS RESPECTAIT

Maître François Dehez (1931-2017)
Maître François Dehez (1931-2017)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un grand merci à Isabelle, 

sa fille cadette,

qui m'a envoyé cette photo.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Vous lirez ailleurs les ... faits d'armes de François Dehez, une des gloires de l'escrime belge.

Je ne vais pas vous parler du champion, mais d'un pédagogue fantastique et d'un homme de bien.

 

Dans ce milieu mesquin (petit, étriqué, souvent militaire à la base), je ne l'ai que rarement entendu se faire critiquer, et chaque fois c'était le fait de jaloux, de moins doués que lui. 

 

Pour moi, François Dehez restera toujours "Maître". C'est ainsi que je l'ai toujours appelé.

 

Ma première leçon d'escrime, c'est le "vieux" Maître Coulon qui me l'avait donnée. Je crois qu'on était encore au Palais d'Egmont. Mais c'est Maître Dehez qui m'a réellement "mis en garde" à la salle de la rue Saint-Bernard, au sein du Cercle Royal d'Escrime de Bruxelles (CREB). Je pense que c'était en 1967, par là,  et c'est bien entendu le clan Domb qui m'avait initié. Le patriarche, André Domb, fut lui-même champion de Belgique universitaire, in illo tempore. Ce chirurgien très habile possédait une main très sûre et est resté, même au troisième âge, un épéiste redoutable.

 

Mais quand, à l'adolescence, j'ai réintégré le domicile de mes parents, quittant un peu les jupes arsenic et vieilles dentelles de ma grand-mère qui m'élevait jusqu'alors, mes relations avec mon père, que son métier retenait souvent dans les hôpitaux, ne me procuraient ni la complicité, ni le soutien dont j'avais besoin. C'est François Dehez qui a rempli ce rôle.

 

C'est lui qui a essayé de combler le manque total de confiance en moi dont je souffrais, alors qu'il existait des jeunes moins doués par la vie que moi. C'est lui qui a été mon confident sentimental lors de mes peines de coeur (nombreuses). C'est lui qui me disait comment aller m'excuser sans perdre la face quand j'avais fait une bêtise.

 

Mais il m'a rendu un autre service, un immense service. Voyez plutôt. J'ai abandonné le hockey sur gazon, mon autre sport de gosse de bourgeois, pour commencer sérieusement l'escrime de compétition, une discipline exigeante qui ne tolérait pas qu'on s'éparpille. Il fut mon professeur, mon entraîneur et aussi mon coach. Mais il a absolument voulu que j'arrêtasse totalement de fumer (vers l'âge de 17 ans, avec 10-15 "Gauloises sans filtre" par jour comme ration, en catimini). J'ai obtempéré en deux jours.

 

Je ne saurai jamais assez le remercier de cette requête impérative.

Le plus ironique est que c'est le tabac qui l'a emporté, de la plus vilaine façon, même s'il a atteint en bonne forme un âge respectable.

 

J'ai sans doute été une de ses plus grosses déceptions sportives, à lui, le multi-médaillé. Alors qu'il a formé des poignées d'excellents compétiteurs, Je ne suis jamais devenu champion de Belgique, même pas chez les juniors alors que le titre de la saison 1975-76 (je crois) au fleuret aurait dû être le mien. Mais j'ai totalement foiré ce championnat, sans aucune excuse*.

Et ensuite, je n'ai pas réellement mordu à l'épée, arme à laquelle il me destinait une fois que j'aurais été un peu plus mûr.

 

Son point fort, dans la vie comme sur la planche, c'était le sens du timing, du "bon moment" comme il disait. On en parlait encore ce week-end avec ma fromagère préférée, qui fut également un temps son élève. François Dehez était bien en garde, très souple, très fort techniquement mais surtout, il savait attendre le temps qu'il faut et frapper vite alors. Je pense que c'est encore toujours une caractéristique de l'escrime "à la française". Il était incapable d'expliquer ce "bon moment" - comment le faire d'ailleurs? - mais le montrait, le faisait sentir et nous le faisait découvrir intuitivement.

 

Je ne crois pas trahir de manière impudique un secret d'état en rappelant que Maître François Dehez est resté lucide jusqu'à la veille de son décès. Ce grand fumeur a été rattrapé par un cancer du poumon. Lorsque l'asphyxie et la douleur ont tellement entamés sa qualité de vie, et soumis à rude épreuve la compassion de sa femme et de ses enfants, il a réclamé que la médecine mette fin à sa souffrance, dans la dignité.

 

Ce fut pour lui, une fois encore, à 85 ans ... le bon moment!

 

 

 

 

*: Ma seule consolation, j'ai battu lors de la poule finale, à la régulière et nettement, ceux qui allaient terminer premier et deuxième

     au palmarès in fine.

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Comments: 3
  • #1

    marc D (Wednesday, 19 July 2017 15:10)

    Merci Luc pour ce superbe hommage.
    Maître Dehez érait comme tu le décris, mieux même, un exemple pour nous tous.

  • #2

    Bertrand N. (Wednesday, 19 July 2017 22:45)

    Merci pour ce témoignage. C'était le "Maître" : un maître d'escrime et un maître de vie.

  • #3

    Erik Bruyland (Friday, 21 July 2017 12:01)

    Een zeer mooi geschreven eerbetoon aan je leermeester in de schermsport