DE KÜHN'S MÜHLE AU WEINGUT KÜHN

Du coteau de "Winkel" vers les berges
Du coteau de "Winkel" vers les berges

 

 

 

 

 

 

Un papier d'humeur, cette fois

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C'est André Domine qui m'a conseillé de rendre visite au Weingut Peter Jakob Kühn, en plein coeur de la Rheingau.

La dernière fois que j'ai mis les roues sur ces berges-là, c'est ... il y a presque 25 ans. Je pense avoir acheté de très bons rieslings secs au domaine Riedel. On les payait entre 8 et 20 .... DM. Pour rappel, le mark valait 50 cents d'euros environ. Comme le dit si bien depuis 1964 un prix Nobel de littérature: "But the times, they are a'-changin".

 

Nous avons logé sur le coteau, dans un B&B appartenant sans doute à des cousins, Kühn's Mühle. La documentation explique fort bien la route à suivre - je refuse d'utiliser un GPS, l'instrument à rendre encore plus con - sauf que le centre du village, Ortsmitte, où se situent les indications de départ, sur le Schildenmast, est rendu inaccessible par une déviation importante. Au bout de ... pas mal de boucles et de demi-tours, un voisin fortuit du domaine viticole (ça, c'est facile pour le retrouver le lendemain matin) nous explique la route à suivre, presque jusqu'au bout du chemin, à la lisière de la forêt. Bel endroit qui fut témoin de la jouissive consomption (= départ en fumée) d'un

Epicure N° 2 en fin de soirée.

 

Le domaine était officiellement fermé pendant quelques jours en ce début de mois d'août - avec des Abfüllungen en cours, et tout le fourbi qui va avec - mais on a eu la gentillesse de me donner un rendez-vous quand même. C'est une des femmes de la maison qui m'a accueilli, avec un sourire blond, pour nous confier à un jeune collaborateur plein d'enthousiasme car, d'après elle : "Comme vous êtes vigneron, je ne peux rien vous expliquer de technique sur nos vins". Je ne suis pas sûr de cela mais notre guide de remplacement a été parfait, en tout cas; un bon  (Weinprobe-) Führer., arborant une fine moustache, mais sans mèche rebelle. Je précise que ce genre d'humour facile, et même un peu plat, est uniquement destiné à amuser mon lectorat hexagonal, qui n'a pas encore totalement tourné la page du dernier conflit mondial. Je me demande ce que les Maliens en pensent ... 

 

A la vérité, comme je ne suis pas insensible (platoniquement) au charme des dames, et comme ce domaine est tout entier sous l'emprise de l'atmosphère steinerienne, je crois que Christine  a fait passer des ondes cosmiques pour que je déguste du vin et non pas les paroles de la jeune femme. Il devait s'agir d'un jour "glou-glou" et certainement pas d'un jour foufoune! Je précise qu'elle n'a rien à craindre: les seules cornes en jeu sont celles de l'attribut 501. Et je ne parle pas du Levi Strauss "tight fit" qui met si bien l'anatomie en valeur. 

 

La Rheingau, tout un mythe.

Abandonnez la ville de Coblence et suivez la rive gauche du Rhin vers Wiesbaden. Contournez la colline de Loreley, qui rend le fleuve étroit à ce niveau-là. Il a jadis englouti des embarcations dans ses remous, à l'instar de ces enfants de Calliope - attention à  l'orthographe et à la prononciation des sifflantes - qui hantaient le détroit de Messine pour le plus grand danger des pêcheurs de sardine ou de hareng. Ah, si seulement j'avais été ce grand mât que l'on plante dedans  ... 

A ce moment-là, vous pénétrez de plain pied dans ce morceau de Hesse Rhénane qui détient peut-être (possibly) le meilleur vignoble à vin blanc sec du monde, insgesamt. On parle de Lorch, Rüdesheim, Geisenheim et son Ecole Supérieure, Johannisberg à l'arrière-plan . Là, vous arrivez aux différentes sections d'Oestrich: Mittelheim, Winkel, Hattenheim ... Je vous fais grâce des autres villes d'aval. Sur la rive opposée, en pleine Rhénanie-Palatinat, c'est Asmannshausen, Bingen et Ingelheim.

 

Sur mon cliché, pris des hauteurs de Winkel, c'est d'ailleurs Ingelheim qu'on aperçoit au-delà du Rhin. Notez que la majorité du vignoble est enherbé - Bonjour, les Ligériens ! - et que les fleurs ... fleurissent partout. Cela incite sûrement les galants à conter fleurette à la Weinkönigin de leur coeur. 

 

je n'ai pris aucune note ce jour-là. D'ailleurs, je n'en prends plus jamais depuis que je suis passé du clavier Microsoft à la houe catalane, car je ne dois plus à mes lecteurs que la sincérité. Les spécifications érudites, ils les chercheront eux-même. Notre hôte, un jeune homme formé sur le tas au domaine depuis une bonne année, comme stagiaire, et engagé depuis le 1er de ce mois, fait partie des 13 collaborateurs qui entretiennent le vignoble de 20 hectares à l'année, et participent aux travaux de la cave, aux côtés des membres de la famille. Il y a des photos d'enfant partout, autant de têtes blondes souriantes, l'avenir du domaine est assuré. 

 

Je vais vous présenter les vignes - où nous nous sommes ensuite baladés, rênes pendantes et encolure allongée, Christine et moi, après avoir abandonné le harnais dégustatoire - au fil de notre découverte de la gamme. C'était un jour "glou-glou", vous dis-je.

 

Cuvée Jacobus 2016: il s'agit d'un Gutswein suivant la classification de la VDP. Je suis un vieux con et réprouve totalement la nouvelle répartition des gammes. mais elle répond sans doute à une logique commerciale et vous savez que ce sujet n'est pas mon fort. Les hommes de marketing allemands ont voulu copier la pyramide "à la française", au moment-même où celle-ci était remise  en question, in the aftermath of le fameux rapport de Jacques Berthomeau. Par contre, leur constat de la prééminence du blanc sec sur le marché mondial est fondé. 

Ici, on tente de réussir un assemblage des différents sols et altitudes pour créer un "style maison", constant et distinctif: quartzite, glaise argileuse, schistes, silice, loess, galets roulés et silex, proximité du fleuve à la partie inférieure ou au contraire altitude (300 m) à la lisière de la forêt du Taunus. Il y a de quoi faire. J'ai acheté un carton de ce joli vin, extrêmement droit et vif, camouflant par ses 7 gr d'acidité totale (en équivalents tartriques*) les 3,6 gr/L de sucre résiduel. Du riesling pur jus, à peine 12 vol % (sans chaptalisation) et possédant un équilibre éthéré, digne d'Akasha. Un jour "glou-glou", c'est sûr. 

 

Riesling Rheinschiefer 2016: voilà un vin issu des terroirs schisteux de Hallgarten qui s'inscrit dans la ligne des appellations villages, les Ortsweine de la VDP. J'y suis très favorable. Autant je me moque de l'AOP en elle-même, avec ses contraintes et l'influence déterminante des caciques locaux lors de la fixation des décrets, autant j'aime que la provenance apporte leur typicité aux crus. Un vin plus sec, plus droit, qui devra attendre un peu. Belle bouteille.

 

Cuvée Quartzit 2016: issu des sols de quartzite (une modification par recristallisation ou cimentation au départ de grès)  d'Oestrich, également un Ortswein, ce vin nous a charmés, Christine et moi: sec comme une trique, austère et long. Et hop, un carton sur le siège arrière. Seulement un carton car nous n'avons pas plus de place que cela, mais aussi car on se situe déjà à 16,50 €. Pour l'entièreté de la région, la loi ou les règles du VDP acceptent des rendements (globaux) qui avoisinent les 100 hl/ha (oui oui). Chez Kühn, on m'annonce entre 30 et 45 hl pour les vins secs, ce que je crois au vu de leurs vignes. 

 

Oestricher Klosterberg 2015: ce vin de parcelle, une Erste Lage, provient donc d'une zone qui appartenait jadis aux soeurs cisterciennes de Kloster-Gotteshal. Elle est constituée de loess contenant des blocs de quartzite et on l'a replantée en 1990 à une densité de 10.000 pieds / ha. Vinification et élevage dans le bois, des foudres allant du demi-muid à 30 hl. Beaucoup de perception "tannique" et un boisé qui s'estompera sans doute mais ceci ne correspond plus à ma conception du riesling rhénan (ni mosellan ou franconien d'ailleurs). J'suis un vieux con, que j'vous dis. Par contre, la concentration et la "race" sont là. Les Allemands veulent établir des vins "à la bourguignonne" et les hiérarchiser itou. Je leur souhaite beaucoup de succès mais ne les suis pas, à titre personnel. 

 

Oestrich Lenchen Kabinett 2016: alors, là, oui, je me retrouve. Un vin de Grosse Lage dont le nom provient de l'appellation dialectale des brumes du petit Pfingstbach qui borde la parcelle et influence son climat, favorisant notamment l'apparition de botrytis. C'est sur ce loess, proche des bâtiments, que l'on récolte les vins de Prädikat moelleux ainsi que les pourritures nobles. La bouteille allie la finesse de tout ce que nous avons bu avant, une acidité magnifique et une sucrosité gourmande, autour des 30 grammes qui se percoivent à peine, pour 9,5 vol% d'alcool. On paiera ici 14 euros, avec le sourire.

 

Je n'ai pas voulu qu'on ouvre pour moi d'autres échantillons, étant déjà convaincu.

Merci à notre commentateur pour sa gentillesse et la conviction qui brûlait dans ses yeux.

Christine précise:"Il est beau, ce petit!".

 

 

 

*: les acidités sont titrées en Allemagne  (notamment) en prenant l'acide tartrique comme référence, de pKa plus élevé que l'acide sulfurique

    des Français. Il faut multiplier par un facteur de 2/3 pour obtenir les équivalences.

 

 

 

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Comments: 2
  • #1

    Jean François (Tuesday, 08 August 2017 13:19)

    Magnifique article sur l'un des domaines phare de cette région incontournable pour tous les amateurs de grands blancs de notre monde.
    Je me souviens de Michel Bettane il y a un bout de temps déjà clamant avoir été instruit sur les vins allemands par notre ami commun, Armin Diel...
    Moi-même grand amateur de vins allemands je me rappelle et comprends même pourquoi Michel reprochait initialement de ne pas correspondre au palais français. ..
    Sans, justement, vouloir me lancer dans une révolution de palais, force est de reconnaître, comme vous le faites à merveille et avec une honnêteté qui fait votre grandeur, que ces vins sont absolument à découvrir. Aux noms imprononçables pour des francophones, que ceux-ci se rassurent le nom de leurs vins n'est pas plus facile, ils évoquent bien souvent la grande et noble histoire allemande. Les Niebelungen notamnent. Ceux d'entres eux balbutiant quelques mots dans la langue de Kant se laisseront aller à un sourire... Saumagen, Trittenheimer Apotheke, Hermannshöhle, bien d'autres, enchanteront ceux qui les dégustent. Et il ne faudra rater en aucun cas les Grossen Gewächse ainsi que les vins vendus peu après les vendanges lors de ventes aux enchères épiques. L'Allemagne n'a pas fini de nous surprendre. Les moins téméraires pourront juste traverser la frontière rejoindre le Land de Baden à la découverte de très grands pinot noir.

  • #2

    LUC CHARLIER (Tuesday, 08 August 2017 14:14)

    Merci de cette très sympathique intervention , cher néo-lecteur. Comme beaucoup de Flamands, j'ai été baigné au riesling de la Moselle, le vignoble de qualité le plus proche de chez nous. De là, des sauts de puce successifs m'ont conduit vers les autres régions viticoles de la BRD, sauf celles de la vieille Allemagne de l'est, que je ne connais pas. Le Deutsches Weininstitut a refusé de m'y organiser un voyage, in illo tempore.
    J'apprends grâce à vous que MB est instruit en quelque chose. Si nous ne passons jamais nos vacances ensemble, nos routes se sont croisées fréquemment le siècle passé et je n'avais jamais remarqué ce détail. Je suppose que je n'étais pas observateur.