Tout devient prétexte au conteur d'anecdotes
La Route d'Argent sinue du col de Bonnecombe (1340 mètres) au joli village de Nasbinals et à son église romane de style auvergnat en pierres grises (le fameux granite de la Margeride*), empruntant des tronçons de la D52. Elle doit son nom aux reflets sur les eaux des lacs de Born, de Saint-Andéol, de Souverols et des Salhiens. Près du village, l'attraction principale est la cascade du Déroc, chute d'eau de 30 m dissimulant une grotte dans le basalte.
L'autre attraction principale, c'est Daniel, membre éminent de la famille Bastide, qu'on ne présente plus ni en Aveyron ni en Lozère, tant elle compte d'éleveurs, de pharmaciens, de juristes, d'élus, de restaurateurs ...
Nos voies se sont croisées, moins impénétrables que celles du Seigneur et régies par un fragment de la logique des marchands du Temple. Christine cherchait en effet un établissement de qualité pour enrichir notre présence sur le chemin qui sépare nos clients des alentours de Laguiole et ceux d'Aumont-Aubrac ou de Marvejols. Nous avons donc atterri à "La Route d'Argent" (vous savez à présent pourquoi) de Nasbinals, pour une dégustation à faire en compagnie de Daniel. Arrivés au comptoir, nous avons été accueillis par "le patron" (sans doute) au son de "Il n'existe pas de Daniel ici". Or, c'était lui. Il a à la suite de cela mis en cave quelques cartons de la Cuvée Majou (le très beau millésime 2005 encore bien!) mais ils n'ont jamais figuré à la carte. D'après sa soeur, il les consomme lui-même ou alors les recommande de vive voix à certains clients choisis. La suite des événements nous confirmera qu'il est un boute-en-train de haut vol et a la plaisanterie facile, pour le plus grand plaisir de sa chalandise.
Une autre fois, je revenais de Belgique par une froide soirée de neige et de verglas, pick-up et remorque, heureusement à vide, zigzaguant sur le bitume. Abandonnant l'Auvergne mais pas ma fatigue, j'ai demandé par téléphone à Christine, restée au bercail cette fois-là, de me trouver un gîte. Et c'est Daniel qui lui a répondu, en lieu et place de la Mère Michel: "Qu'il vienne, on le fera manger et on le fera dormir. Et s'il file au fossé, on sortira le tracteur". Trois quarts d'heure plus tard, j'étais attablé devant la pièce du boucher et une bouteille de Marcillac, sans le secours d'une force motrice extérieure..
Et puis, ce personnage plein de faconde m'est apparu sous un autre jour hier soir, à la lecture de la Newsletter (en occitan dans le titre) des Séjours Bastide à laquelle ils m'ont abonné. Soit dit en passant, le comité de rédaction fait un excellent travail, du pittoresque au général: je la parcours avec plaisir. Pour le baptême d'un nouvel arrivant dans le clan familial, le petit Marceau, notre joyeux drille a mis ses habits du dimanche et s'est joint au choeur des belles voix des paroissiens. Je suppose qu'il doit à l'occasion mettre la main à la "matanza du cochon" également, ne serait-ce que pour pouvoir préparer la sanquette. Il n'est donc pas sot de prétendre que "la belle voix du saigneur est, elle aussi, sans doute impénétrable".
Voilà le genre de personnages que nous offre l'Aubrac,
des contreforts cantalous à la Margeride et aux marges du Rouergue.
Ils ont l'ardeur au travail et le sens du commerce des Auvergnats,
la chaleur et la joie de vivre des Méridionaux en général,
et le sens de l'accueil et de la convivialité des Occitans.
De leurs ancêtres catholiques, ils ont conservé l'humanisme,
et de leurs aïeux protestants, ils ont gardé la notion de l'honnête et du devoir.
Moi, je me sens à l'aise et heureux sur ce promontoire de granite.
* En fait, le grand appareil de ce mur contient effectivement ce type granite, qui inclut des gros morceaux de feldspath qu'on appelle "dents
de cheval", mais aussi d'autres basaltes et du tuf volcanique, le tout sous un lourd toit en schiste.
Write a comment