BRAS-VO!

 

 

 

 Ceci fut notre premier souvenir chez Michel Bras.

 

 

 

 

 

 

Sébastien Bras, triple étoilé Michelin dans "Le Suquet" à la suite de son père Michel - qui n'a jamais perdu son chat - vient de décider que la pression psychologique liée à cette distinction et à cet honneur pesait trop lourd sur sa femme et sur lui, à bientôt cinquante ans. Il abandonne donc ce rang, en ayant l'élégance de rappeler combien cela l'avait aidé dans son entreprise. Il ne crache pas dans la bisque, il se retire simplement avec les honneurs. J'approuve cette attitude, d'autant que cela ne préjuge nullement de la situation d'autres établissements. En même temps, je ne suis pas un intime de la maison et il n'est pas impossible qu'il ait aussi un petit compte à régler avec les inspecteurs, je n'en sais rien. "La cuisine des palaces, ton univers impitoyable", comme dans la série américaine. 

 

La première fois que Christine a obtenu un RV pour une dégustation chez Bras - nous aimons l'Aubrac depuis 1999, dans la famille Charlier - Sergio (Calderon) nous a reçus devant le joli lobby du restaurant et nous sommes allés déguster dans l'avancée qui figure sur la photo que j'ai repiquée sur le site. Il m'a appris qu'il avait fait une première année de médecine en Argentine avant de devenir sommelier, et nous avons sympathisé, pour d'autres raisons que celle-là, notamment car c'est un esthète, un fin dégustateur et un garçon de grand savoir-vivre. 

A la fin, il nous fit: "Tou sé, Louke, yo gusto bieng tes vings. Mais yo ai 400 références à la carte et yo dois être selectivo". 

 

La seconde fois, tout sourire, il nous a emmenés déguster à la cuisine, dans la section du pâtissier à qui il a fait goûter notre Maury. Plus loin, trois générations de Bras fristouillaient: Michel (en visite je suppose!), Sébastien et le petit-fils, qui devait avoir 10 ou 11 ans. Si l'Hygiène (et sa cousine des Fraudes) était passée par là, elle les aurait allumés: ce dernier ne portait pas de toque et n'avait pas l'âge requis. Le règlement, c'est le règlement; Vive la République!. C'est un souvenir magique. Nous ne sommes toujours pas référencés dans cette belle maison, mais ne désespérons pas d'y arriver.

Peut-être que sans les étoiles ... 

 

Généralement, nous passons nos nuitées chez Michel et Evelyne, à la chambre d'hôtes du Bouët, une merveilleuse grosse ferme-manoir ayant appartenu aux Armagnac. Le matin, presque tous les convives du petit-déjeuner ont pris le dîner de la veille "chez Bras" et ils sont tous émerveillés, toujours.

Nous n'y avons pas encore mangé.

 

Non loin de là, à Aumont-Aubrac, en Lozère cette fois, la Cuvée Majou figure à la carte de Cyril Attrazic, le succulent étoilé du restaurant "Chez Camillou". Il s'agit du 2007 pour le moment, que le chef plébiscite depuis 3 ou 4 ans et qui a survécu au passage de plusieurs sommeliers/ères. La table est subtile (porc laqué fantastique) et le chef est un "hyper-consciencieux", très à l'écoute de l'opinion de ses clients. Entre sa brasserie et le restaurant gastronomique, nous y avons certainement mangé plus de dix fois. Lui ne cache pas son souhait de décrocher un deuxième macaron - qu'il mérite selon moi. Outre la consécration que cela lui apporterait à titre personnel, il tient un raisonnement que je trouve très pertinent. Pour faire vivre son étoilé "simple", il lui faudrait idéalement 40 couverts à chaque service, toute l'année, et tout le personnel qui va avec. C'est difficile dans un endroit aussi reculé et avec un tourisme à caractère saisonnier. Il est aussi compliqué de pouvoir garder toute cette brigade en permanence. En outre, le chef se disperse sur 40 assiettes. Pour faire tourner un double étoilé, 25 couverts suffiraient apparemment. Le personnel est plus motivé à rester (prestige), ce nombre de couverts est plus aisé à atteindre (attractivité implicite plus élevée) et le chef ne doit superviser que 25 assiettes. Je n'avais pas envisagé cette façon de voir les choses.

 

Et dans le Cantal proche, à Chaudes-Aigues, c'est surtout notre Cuvée du Casot (2006) et la Loute que vous découvrirez chez Serge et Marie-Aude Vieira, au Château du Couffour (double étoilé). Dix ans après son "patron", M. Marcon (attention à l'orthographe exacte), il fut le Bocuse d'Or 2005. Nous le servons depuis qu'il a ouvert cette belle maison en 2009. Après notre première dégustation commune, il a obtenu sa première étoile. L'année suivante, après notre deuxième dégustation commune, il décrochait sa deuxième étoile. A présent, il dit en substance avec beaucoup d'humilité et de prudence dans une interview: "Ce n'est pas à moi de décider si ma cuisine vaut la troisième étoile ... " mais on sent qu'il pense que oui et que cela le comblerait. Nous avons fait pas mal d'autres dégustations entretemps au Couffour (eux de notre vin et nous, de la cuisine de la maison mais en tant que client lambda!) mais ceci n'a pas suffi à ce jour pour l'obtention du troisième macaron!

 

Près de chez nous, nous servons un étoilé Michelin (au moins) quasiment dans chaque département: La Galinette et L'Auberge du Cellier dans les P.O.; l'Auberge du Vieux Puits, le Domaine d'Auriac, La Table Saint-Crescent et La Barbacane (éclipse au Guide cette année, passagère je crois) dans l'Aude; Les Jardins de l'Opéra, En pleine Nature, En Marge et PY-R en Haute-Garonne, Le Puits Saint-Jacques dans le Gers, Entre Vigne et Garrigue dans le Gard (et jadis la magnifique Hostellerie de Castellas,** du temps de M. Nutile), Christian Etienne (à la retraite à présent), Le Prévôt et La Petite Maison de Cucuron dans le Vaucluse  etc ... Avant la fermeture du Jardin des Sens, chez les frères Pourcel dans l'Hérault, nous avons même été "vigneron du mois". Enfin nous avons servi les chefs étoilés de Castres (M. Scott, plus de distinction) et d'Albi (M. Enjalran, restaurant disparu) dans le Tarn, et la Table des Dominicains (redevenue une simple brasserie) dans le Tarn-et-Garonne. Vous voyez que nous ne "snobons" pas bibendum, bien au contraire. Et, à part une seule fois dans le centre de Laguiole, alors que la chef de l'établissement, lassée, allait cesser ses activités et "levait le pied", je n'ai jamais mal mangé dans un étoilé.

 

Toutefois, la nécessité de renouveler sans cesse la vaisselle et la décoration, le personnel "annexe" et les fantaisies (voiturier, vestiaire, madame "pipi", aire d'atterrissage pour hélicoptère), la dérive "barnum" (enfumage au Havane, cuisine moléculaire extrême, théâtralisation du dressage et du service, produits introuvables ...) et surtout l'inféodation aux grands groupes de l'agro-alimentaire comme Nestlé, Royco ou Spigol (petites poudres de toute sorte, machine à café célèbre mais très quelconque au goût), tout cela me paraît loin de la gastronomie sincère et savoureuse.

 

Oui au combava, au yuzu, au pigeon de Mérial ou du Mont-Royal, à l'oeuf de Monsieur Untel et aux mollusques de Girardeau ou de Tabouriech, aux truffes du Vallespir, du Pays Cathare, de Mornas ou de Sarlat mais non au boeuf maturé 253 jours et demi sous atmosphère d'azote (isotope 15, le plus rare, obligatoire ), au caviar ésotérique d'un affluent de la Vologne et aux grandes marques chimiques de Leverkusen, de Vevey, de Wall Street ou de la City.

 

Bravo à Sébastien Bras d'avoir eu la détermination de prendre cette décision et bravo de ne pas en dégoûter les autres.

Et bravo à tous les autres chefs aussi qui, par passion, font eux encore cette "Quête à l'Etoile". 

Les deux sont compréhensibles et honorables.

 

 

 

 

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